Solidaires 37

Un grain de sable dans les rouages des projets gouvernementaux

lundi 3 août 2009 par Solidaires37

La justice donne un coup d’arrêt surprise à la fusion Caisses
d’épargne et Banques populaires

Vendredi 31 juillet au matin, après dix mois de tractations et de
rebondissements multiples, la voie semblait définitivement dégagée
pour la fusion entre les Banques populaires et les Caisses
d’épargne. L’une après l’autre, les assemblées des sociétaires des
deux banques mutualistes approuvaient la création de la BPCE.
Dans la foulée, la ministre des finances Christine Lagarde se félicitait
dans un communiqué de la création de la deuxième banque
française et annonçait l’apport de trois milliards d’euros de fonds
publics pour aider le nouvel ensemble. Tout cela était prématuré.
Car dans l’après-midi, la cour d’appel de Paris, saisie par le comité
d’entreprise de la Caisse d’épargne de l’Ile-de-France et le
syndicat Sud, a rendu un jugement (consultable ici) qui bloque
momentanément tout le processus. L’arrêt de la cour d’appel impose
en effet de reprendre toute la procédure d’information des
représentants du comité d’entreprise de la Caisse d’épargne d’Ilede-
France, et exige que la direction leur fournisse des documents
qui leur permettent de rendre un avis. En attendant, la cour d’appel
interdit à la Caisse d’épargne d’Ile-de-France, la première du
réseau Caisses d’épargne, de mener plus avant le projet de fusion.
Elle lui impose une astreinte de 100.000 euros par jour.
Ce jugement a été rendu public par le syndicat Sud samedi matin.
Dans un communiqué, celui-ci se félicite de la décision de justice
qui bloque un « projet contestable sur le plan économique et
financier qui n’apporte aucune réponse à l’aventure Natixis » .
Après un long silence, la direction de la BPCE a annoncé samedi
dans l’après-midi que le jugement ne changerait pas le processus
de fusion, que la BPCE serait “opérationnelle dès lundi” sans évidemment
la Caisse d’épargne Ile de France pour se conformer à la
décision de justice. Cette dernière, selon la direction, rejoindrait
“plus tard le nouvel ensemble”.

En dépit de ses efforts, la direction est dans le plus grand embarras.
Tout commence à se gripper autour de ce projet que le gouvernement
a voulu imposer en force. Les Caisses d’épargne se sont
vu infliger le 15 juillet un « blâme » et la plus forte amende - 20
millions d’euros- jamais donnée par la Commission bancaire à la
suite de leurs opérations de marché qui leur ont coûté une perte de
750 millions d’euros. Les tensions sociales se multiplient au sein
du réseau Caisses d’épargne. Les plaintes contre la nomination
de François Pérol, ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée,
se multiplient. Et maintenant, c’est la justice qui donne un coup
d’arrêt au projet de fusion.

Les syndicats et de nombreux observateurs ont pointé depuis le
début le flou qui entoure ce projet bâti dans la précipitation. Leurs
critiques avaient été balayées d’un revers de la main. Mais cette
fois, c’est la cour d’appel de Paris qui pointe toutes les inconnues
qui entourent la création du deuxième réseau bancaire français.
« Le CE n’a été complétement et loyalement informé »
Revenant sur les termes de la décision prise par le juge des référés,
qui avait débouté dans un premier temps le syndicat et le comité
d’entreprise, la cour d’appel considère au contraire que les représentants
avaient raison de contester l’information qui leur avait
été fournie par la direction avant de rendre un avis sur la fusion.
« La lecture des documents fait apparaître que les deux dossiers
communiqués par la CEID [caisse d’épargne Ile-de-France] ne
comportent que des généralités quant à la description du projet,
que si les modalités de rapprochement avec nécessité d’intervention
du législateur sont décrites avec précision, il n’en va pas
de même en ce qui concerne la définition du projet industriel, la
stratégie du nouveau groupe, le business plan et les conséquences
sur l’emploi ; qu’en effet s’il est affirmé la volonté de créer le second
groupe français fondé sur la notion de banque de détail et
de proximité tout en maintenant l’autonomie des deux réseaux, il
n’est apporté aucune précision concrète sur la configuration du
groupe, sur la coordination et l’harmonisation des activités des
deux réseaux », note l’arrêt.

Les juges constatent que François Pérol, président des deux
banques, a reconnu lui-même devant l’Assemblée nationale qu’il
y aurait des doublons dans les emplois mais que pour l’instant,
il ne pouvait en dire plus : un séminaire prévu en septembre doit
commencer à définir le projet industriel.
« Il est ainsi démontré que contrairement aux affirmations des
Caisses d’épargne, l’opération de fusion aura des conséquences
sur l’emploi alors qu’aucun état de la situation des salariés n’a
été, à ce jour, dressé pas plus n’a été établie une situation prévisionnelle
de l’emploi suite à la mise en oeuvre du projet », relève
le jugement. « Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le comité
d’entreprise n’a pas été complètement et loyalement informé
et que l’information fournie sur le projet de rapprochement est en
l’état insuffisante » .

D’où la décision d’imposer une nouvelle procédure d’information,
de bloquer tout le processus de fusion accompagné d’un
montant d’astreinte -100 000 euros par jour- plus que dissuasif.
Inconnues juridiques
Que va-t-il se passer maintenant ? Sauf à décider de passer outre
la décision de justice - ce qui serait lourd de conséquences dans un
dossier qui affiche déjà un lourd passif de contentieux juridiques-,
la fusion entre les Banques populaires et les Caisses d’épargne est
perturbée, quoi qu’en dise la direction. Car la Caisse d’épargne
d’Ile de France, première entité du réseau, ne peut pas apporter
ses actifs au nouvel ensemble tant qu’elle n’a pas achevé la nouvelle
procédure d’information demandée par la cour d’appel. Ce
qui rend tout le processus bien bancal.
A cela s’ajoutent d’autres inconnues. Car les représentants de la
Caisse d’épargne de Toulouse, qui eux aussi avaient refusé de
rendre un avis estimant l’information insuffisante, qui eux aussi
avaient été déboutés en première instance, ont fait appel de la décision.
La date du jugement en cour d’appel n’a pas encore été
arrêtée. Mais l’arrêt de la cour d’appel de Paris risque de créer un
précédent.

Celle-ci a estimé que l’information donnée aux représentants du
personnel était insuffisante : or, ceux de Toulouse ont reçu la
même, comme tous les autres comités d’entreprises des Caisses
d’épargne régionales. Ceux-ci pourraient être tentés de regarder
s’ils ont un moyen de faire, à leur tour, appel à la justice.
Cette bataille juridique se tient alors que le climat social s’alourdit.
François Pérol avait cru trouver un moyen de calmer le jeu en
passant alliance avec l’UNSA, syndicat majoritaire de l’Ecureuil.
Des négociations secrètes avaient été engagées, selon nos informations,
pour permettre de dédommager un certain nombre de salariés.
Elles ont capoté. La direction se retrouve donc sans relais
syndical pour porter son projet de fusion et apaiser les craintes du
réseau de plus en plus inquiet par les conséquences sociales qui
pourraient résulter de la fusion avec les Banques populaires. Le
jugement de la Cour d’appel de Paris semble aller dans leur sens.
Enfin, les plaintes déposées contre François Pérol « pour prise illégale
d’intérêt » cheminent. Face à une contestation grandissante,
le nouveau président de la BPCE se retrouve dans une position de
plus en plus inconfortable. Le soutien inconditionnel de l’Elysée
risque de ne pas suffire à l’installer solidement à la présidence de
la deuxième banque française.

Par Laurent Mauduit Martine Orange

Médiapart


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