Solidaires 37

Contribution du SNUI au débat sur l’élection présidentielle.

jeudi 7 juin 2007 par Solidaires37

L’élection présidentielle provoque un grand nombre de réactions au sein du mouvement social. Les analyses et propositions de Nicolas Sarkozy inquiètent une grande partie du monde du travail. Si l’élection a suscité une forte participation qui donne une légitimité certaine au nouveau Président de la République, légitimité ne signifie pas chèque en blanc pour autant. La démocratie n’est en effet jamais figée ni suspendue, elle se nourrit de débats, de rapports sociaux au sein desquels les organisations syndicales occupent toute leur place. Il est donc souhaitable, légitime et sain qu’une organisation syndicale analyse
un scrutin qui emporte des conséquences concrètes sur le monde du travail et les salarié(e)s dont elle est chargée de défendre les intérêts.
Une analyse de l’élection présidentielle du 6 mai 2007 est d’autant plus indispensable que le projet qui devrait être mis en oeuvre est assis sur une logique dont les principaux termes sont : le mérite individuel, la
réduction de la place de la sphère publique pour favoriser l’initiative privée, davantage de flexibilité dans le monde du travail, l’augmentation du temps de travail, une fiscalité moins redistributive On mesure ainsi
pourquoi une organisation syndicale peut et doit analyser les tendances qui, désormais, risquent de structurer le monde du travail et, plus largement, la société. Pour autant, cette analyse doit être
indépendante des positions politiques partisanes. C’est sur la base de son identité et de ses valeurs fondamentales que chaque organisation syndicale doit se prononcer sans se mêler de la recomposition de
telle ou telle hémisphère du champ politique (pas plus qu’elle n’a vocation à se poser en donneuse de leçon vis-à-vis des autres organisations syndicales).
Le SNUI livre donc ici sa lecture du scrutin. Il demande que ce débat se poursuive après les élections législatives pour qu’à la rentrée prochaine l’Union syndicale Solidaires dispose d’une analyse et d’une
grille de lecture partagée par toutes ses composantes ce qui suppose de tenir compte des approches et des sensibilités de chacune (pour parvenir à trouver le « point moyen d’équilibre de ses composantes » que le projet de « 4 pages » d’analyse n’est pas parvenu à faire).
L’élection présidentielle s’est déroulée après une législature marquée par des conflits sociaux importants dont les points communs sont la
résistance à une offensive que l’on qualifiera de néolibérale. Il en va ainsi du mouvement sur les retraites au printemps 2003, du mouvement anti-CPE, mais également, sur le plan sectoriel, des mouvements portant sur les revendications traditionnelles (hausse du pouvoir d’achat,
amélioration des conditions de travail) auxquels le pouvoir (administratif et politique) oppose systématiquement une logique fondée sur l’obsession de la réduction des coûts et des effectifs et sur une
approche managériale de la performance et du mérite individuel, le tout sur fond de restructurations, de réformes, de hausse de la précarité et d’intensification du travail. Ce malaise social s’est également traduit
pour partie par un vote « non » lors du référendum pour la ratification du traité constitutionnel européen.
Les ressorts historiques de cette résistance se trouvent dans les grèves de l’hiver 1995 en France, dans le mouvement de Seattle, dans l’émergence des forums sociaux, dans la mobilisation contre l’accord
multilatéral sur l’investissement (AMI), même s’il faut admettre que le lien entre les mouvements de grèves plus ou moins ponctuels évoqués plus hauts et cette résistance plus globale est encore trop fragile,
voire même inexistant, dans l’esprit de nombreux salarié(e)s.
De plus, si le caractère principalement défensif de ces mouvements a permis de fédérer de nombreux mécontentements légitimes, aucun front suffisamment uni et cohérent ne s’est constitué pour inverser le
rapport de forces sur la base de propositions et d’alternatives.
La campagne présidentielle s’est essentiellement déroulée sur le terrain du modèle social et identitaire. S’il est vrai que Nicolas Sarkozy a tenu un discours « attrape tout », il faut néanmoins relever que sa méthode
s’est appuyée sur une analyse très fine de l‘état de l’opinion et des inquiétudes qui traversent la société, notamment au sujet de l’emploi. Certaines organisations syndicales, notamment Solidaires, ont pointé les
dangers des mesures et de la logique qu’il porte, mais son succès ne peut que nous interpeller et nous commande de revoir certaines analyses portant sur le contexte social. Du côté de ceux qui combattent la logique dominante, le conflit des retraites et le référendum du 29 mai sont souvent pris en exemple pour témoigner de l’importance de l’antilibéralisme en France. En particulier, le « non » au référendum du 29
mai 2005 est considéré par une large frange du mouvement social comme une victoire antilibérale faisant référence. Ces deux événements méritent une discussion.
En 2003, le mouvement contre la « réforme » des retraites a été plutôt populaire, chacun ayant réalisé que celle-ci emportait des reculs importants, alors que la véritable question de la redistribution des richesses avait été esquivée. D’autres choix avaient été considérés comme souhaitables et possibles. La défaite s’est avérée lourde de conséquences pour le mouvement social, en termes de fatalisme et de résignation, ce que l’on a pu vérifier en 2004 par l’absence de réelle opposition à la réforme du système d’assurance maladie.
On ne peut donc se satisfaire de la popularité d’un mouvement à un instant « T » d’autant qu’il a néanmoins fait apparaître un clivage inquiétant au sein de l’opinion et même du monde du travail, clivage
méthodiquement entretenu par le discours dominant mais que nous devons prendre en compte car il traverse nos champs professionnels.
Par ailleurs, des nuances doivent être apportées à l’analyse traditionnellement effectuée par une large
partie du mouvement syndical et par le mouvement altermondialiste sur le vote « non » du 29 Mai 2005, globalement analysé comme une expression antilibérale. Le vote n’a pas été que cela puisque l’on y trouve le vote nationaliste et xénophobe (minoritaire) mais aussi, et surtout, une sanction de la manière de faire de la politique et de 13 années d’absence de consultation sur l’Europe (durant lesquelles l’Euro s’est mis en place et les délocalisations se sont développées)… Les analyses et enquêtes d’opinion ont montré que 60 % des personnes se déclarant ni de gauche ni de droite ont voté « non » au référendum, ce qui atteste du caractère partiellement apolitique du « non ».
Même largement - mais pas exclusivement, on l’a vu - antilibéral dans ses ressorts, le vote « non » est donc plus multiforme qu’il n’y paraît. Or, les points communs entre les ressorts du « non » et du vote du 6
Mai sont nombreux. Nicolas Sarkozy a analysé dans ses moindres détails ce vote et s’en est fortement inspiré dans sa stratégie. En réalité, il faut voir ces scrutins du côté de l’individu pour mieux les
comprendre et éviter de calquer une analyse convenue et prévisible fut-elle rassurante.
Pour le dire simplement, le « non » du 29 mai 2005 n’est explicitement pas plus antilibéral que le vote du 6 mai 2007 n’est prolibéral.
La question fiscale et de la redistribution des richesses constitue un autre exemple qui touche particulièrement le SNUI. Si les Français sont attachés à une forme de justice fiscale, rien n’indique cependant qu’ils souhaitent des hausses d’impôt. Au mieux, les sondages montrent qu’ils souhaitent la hausse de l’Impôt de solidarité sur la fortune et la baisse de la TVA, au pire, qu’ils veulent des baisses générales des prélèvements… On pourrait résumer ainsi , mais avec humour, la position moyenne actuelle des Français : il faut moins de dépenses publiques (sauf si cela implique un recul des services publics), il
faut moins de gaspillages (mais personne ne les définit), il faut moins de fonctionnaires (mais les enfants sont trop nombreux par classe et, plus tard, mes enfants doivent passer des concours administratifs), il faut
pouvoir léguer son patrimoine aux enfants, il faut sauver l’ISF, on ne croit pas aux promesses de baisser les impôts (mais on aimerait bien que cela soit vrai)…
Convenons que cela offre des perspectives à l’éducation populaire et à la pédagogie de l’impôt, mais sans pour autant conclure à un plébiscite de la fiscalité !
Le SNUI, engagé activement dans le débat fiscal, constate malheureusement une érosion de la sensibilité à l’impôt progressif et à la justice fiscale. Ceci est le fait d’un discours simpliste (« moins d’impôts et moins de charges pour relancer l’économie, moins de fonctionnaires à payer »…) qui accompagne un repli individualiste. A l’avenir, il nous faudra diversifier et affiner nos expressions en la matière en nous
appuyant davantage sur la recherche de formules qui, tout en conservant leur sens, doivent être plus percutantes, car le combat en faveur de la justice fiscale et sociale n’aura jamais été aussi essentiel
qu’aujourd’hui.
Le débat fiscal est symptomatique de l’ensemble des questions économiques et sociales : force est de constater que les propositions de rupture avec le néolibéralisme rencontrent peu d’échos là où certaines
résistances en ont rencontrées. En réalité, le succès de Nicolas Sarkozy repose sur une habilité (stratégie offensive, lecture individualiste des préoccupations…) qui aurait pu être celle d’autres mouvements et
candidats : objectivement, on ne peut dire que seule une alternative antilibérale, fut-elle crédible, aurait pu contrer le discours et la méthode de Nicolas Sarkozy. D’autres alternatives (sociale démocrate, sociale
libérale ou autre), sur lesquelles il ne nous appartient pas de nous prononcer ici, auraient pu constituer un contre-poids.
Plus généralement, nous devrons tenir compte de l’impact de l’élection de Nicolas Sarkozy sur le monde du travail : va-t-elle intensifier la combativité ou, au contraire, entretenir la résignation et le fatalisme ? Il
y aura des signes dans les deux sens probablement, même si nous ne pouvons le mesurer pour l’heure.
Nous devrons impérativement nous adresser à tous les salarié(e)s en faisant un effort sans doute plus important qu’auparavant en matière d’analyse, de décryptage des enjeux, de contre propositions et de
mobilisation. Il nous faudra convaincre encore plus qu’avant de la nécessité de se syndiquer. Nous devrons, enfin, savoir nous adresser à chaque salarié(e) de sorte qu’il retrouve ses questions dans notre
approche pour combattre l’individualisme.
Le SNUI a déjà livré sa vision des propositions de Nicolas Sarkozy et du danger qu’elles comportent.
Cette lecture du scrutin vise simplement à comprendre les ressorts de l’élection. Il reste maintenant à poursuivre ce processus d’analyse d’ici la rentrée 2007 pour disposer d’une lecture de la situation sociale.


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